Le premier livre photo de Sabiha Çimen intitulé « Hafiz », publié aux éditions « The Red Hook Editions », démarre avec le portrait d'une enfant de 9 ans nommée Khadija, qui essaie de réciter le Coran par cœur.
Elle porte un hijab couleur de lilas, et est assise en face d'une amie d'école, portant un foulard similaire, dans une école de mémorisation du Coran d'Istanbul. Son coude repose sur une nappe à pois qui correspond au papier peint derrière elle. Comme presque tous les travaux de Chaman, ce livre met en scène des jeunes filles musulmanes inscrites dans des écoles coraniques non mixtes de Turquie, et montre en quelque sorte la malice et la discipline de ces jeunes filles.
« Hafez » est un terme arabe signifiant « gardien » ou « protecteur ». C'est un honneur pour les étudiantes qui comme Khadijah, mémorisent les 604 pages du Coran. Cette coutume date de l’époque du Prophète Muhammad (psl). La plupart des gens d'Arabie étaient analphabètes, et préserver la Parole Sainte pour les générations futures, était un devoir et la responsabilité des mémorisateurs coraniques.
En Turquie, depuis les années 70, plus de 100 000 filles ont étudié dans des écoles de mémorisation du Coran. Çimen déclare dans l'introduction de son livre, que pour beaucoup de ces étudiantes, ces deux ou trois années étaient leurs seules années d’éducation.
Çimen, photographe autodidacte, a été envoyée dans une de ces écoles à Istanbul, en 1998, avec sa sœur jumelle. Aujourd'hui dans la trentaine, elle se rappelle cette expérience avec une grande nostalgie.
En 2017, près de 20 ans après avoir quitté l'école, Çimen est revenue avec son appareil photo. Des institutions similaires existent maintenant dans toute la Turquie. Le livre de photos rassemble 99 portraits qui sont une sorte d'autobiographie, retraçant les aventures et les drames de filles souvent incomprises et négligées dans la société, qui étudient pendant des jours, sur des tapis de prière, dans les salles de classe et dans les coins des couloirs.
Un certain nombre de sujets de Çimen posent avec fierté comme pour des portraits. Certaines jugent inapproprié d'élever la voix ou même de croiser les jambes en présence du photographe, tandis que d'autres évitent l'appareil photo et se protègent le visage avec leurs petites mains.
Çimen n'hésite pas à montrer les contraintes de cette époque, les ablutions cinq fois par jour et les prières.
Les photographies sont souvent calmes et monochromes, les sujets ont des valises rose pâle et collectionnent des gommes en forme de fruits. Les images accordent une attention particulière à leurs chaussures, diverses et colorées. Sur ces photos, des filles en foulard jouent sur des pierres, sous la pluie, ou dans l'un des portraits, une fille avec une coiffe bleue et une abaya noire, se tient debout, indifférente.
En Turquie, une interdiction de longue date du voile dans les institutions publiques a été levée, il y a dix ans. Adolescente, Çimen a suspendu ses projets universitaires pour ne pas avoir à retirer son hijab. Plus tard, elle a obtenu une licence en commerce et finance, suivie d'une maîtrise en études culturelles.
Dans le monde difficile du livre de Hafez, peu de photographies montrent ouvertement le spectre de l'occidentalisation. Pour de nombreux sujets de Çimen, l’hijab est similaire à un uniforme scolaire pas plus restrictif qu'une chemise à col ou une jupe à carreaux. Mais pour d'autres, il représente les réalités de l'âge adulte.